T. Popoviciu, Remarques sur certaines formules de la moyenne, Arch. Math. (Brno), 5 (1969), pp. 147-155 (in French)
Dédié à M.O. Borůvka à l’occasion de son 70-ème anniversaire
par Tiberiu Popoviciu à Cluj (Roumanie)
Dédié à M. O. Boruvka à l’occasion de son 70-ième anniversaire
Présenté le 14 Avril 1969
1.
Considérons une fonctionnelle linéaire (donc additive et homogène) réelle , définie sur un espace vectoriel S formé par des fonctions réelles et continues , définies sur un intervalle donné I (de longueur non nulle) de l’axe réel. Nous supposons toujours que S contient tous les polynomes. L’espace peut coüncider avec l’ensemble de toutes les fonctions continues , mais peut aussi être plus restreint. Dans la suite lorsqu’il est nécessaire on précisera l’ensemble et la nature de ses éléments.
Le degré d’exactitude de est l’entier qui jouit de la propriété suivante :
Le degré d’exactitude peut ne pas exister, mais s’il existe il est bien déterminé. L’existence d’un degré d’exactitude égal à est équivalent au fait que la fonctionnelle linéaire s’annule sur tout polynome de degré mais est différent de zéro sur au moins un polynome de degré .
Lorsqu’il est nécessaire on précisera encore la nature de la fonctionnelle linéaire .
Rappelons la définition suivante de la simplicité de la fonctionnelle linéaire :
La fonctionnelle linéaire est dite de la forme simple s’il existe un entier , indépendant de la fonction , tel que pour tout on ait
(1)
où est une constante différente de zéro indépendante de la fonction et sont points distincts de l’intervalle I , dépendant en général de la fonction .
Le nombre est déterminé complètement et est précisément le degré d’exactitude de . On a d’ailleurs .
Dans la formule (1) nous désignons par la différence divisée, d’ordre , de la fonction sur les points ou noeuds (distincts ou non) .
La théorie des fonctions convexes d’ordre supérieur permet de trouver divers critères de simplicité de la fonctionnelle linéaire . Par exemple, un tel critère peut s’énoncer de la manière suivante :
Théorème 1. Une condition nécessaire et suffisante pour que la fonctionnelle linéaire , de degré d’exactitude , soit de la forme simple est que l’on ait pour toute fonction convexe d’ordre .
Une fonction est dite convexe d’ordre sur I si toutes ses différences divisées , d’ordre , sur des noeuds distincts, sont positives. Si ces différences divisées sont toutes non-négatives la fonction est dite non-concave d’ordre (sur I). Enfin si les différences divisées d’ordre de la fonction sont toutes négatives respectivement toutes non-positives, cette fonction est dite concave respectivement non-convexe d’ordre . Par le passage de la fonction à la fonction - , les propriétés concernant les fonctions concaves respectivement non-convexes d’ordre se déduisent, en général, des propriétés correspondantes des fonctions convexes respectivement non-concaves d’ordre .
Lorsque est de degré d’exactitude et est de la forme simple on a
(2)
pour toute fonction convexe d’ordre . En effet, d’abord est bien convexe d’ordre . Ensuite, si pour une fonction convexe d’ordre , pour la fonction -, qui est encore convexe d’ordre , on aurait ce qui, d’après le théorème 1 , est impossible.
Dans les mêmes conditions si est une fonction non-concave d’ordre , on a
(3)
En effet, pour tout , la fonction est convexe d’ordre et nous avons donc , d’où, en faisant tendre vers 0 , on déduit l’inégalité (3).
Pour les propriétés des fonctions convexes d’ordre supérieur, pour la notion de simplicité d’une fonctionnelle linéaire et pour diverse autres propriétés utilisées dans ce travail, on peut consulter mes travaux antérieurs. Par exemple, mon travail de „Mathematica" [4].
Si , on peut même affirmer que les points , dans (1) sont à l’intérieur de l’intervalle I .
Si , si est de degré d’exactitude , est de la forme simple et si à une dérivée d’ordre à l’intérieur de I, nous avons
(4)
où est un point à l’intérieur de l’intervalle I.
Les formules (1), (4) permettent, dans le cas de la simplicité, de délimiter la fonctionnelle lorsqu’on connait des délimitations de la différence divisée d’ordre de la fonction , ou bien des délimitations de la dérivée , supposée existante, de cette fonction.
2. Supposons que la fonctionnelle linéaire soit définie sur l’ensemble S des fonctions continues sur I et ayant une dérivée d’ordre sur l’intérieur de I . En plus nous supposons , que soit de degré d’exactitude et de la forme simple. Alors si est un point donné de l’intérieur de I, la fonctionnelle
(5)
est linéaire et s’annule sur tout polynome de degré . En prenant et en tenant compte de la formule de la moyenne (4), on voit qu’il existe une valeur bien déterminé (de l’intérieur de l’intervalle I) de pour laquelle la fonctionnelle (5) s’annule aussi sur tout polynome de degré . Le nombre est donné par l’équation
(6)
Nous avons le
Lemme 1. Sous les hypothèses précédentes la fonctionnelle linéaire
(7)
est définie sur S et est de degré d’exactitude .
Il suffit de démontrer que n’est pas nul.
Compte tenant de (6), nous déduisons
(8)
Si nous posons
(9)
où est un paramètre indépendant de , nous avons
Nous avons donc pour . Il en résulte que le polynome (9) est convexe d’ordre (partout). Nous avons, d’après (2),
quel que soit . Il résulte que le discriminant de ce trinome de second degré est négatif, donc
et l’égalité (8) nous montre que
(10)
Le lemme 1 en résulte.
Nous verons plus loin que la fonctionnelle linéaire (7) est de la forme simple.
3. Nous allons supposer maintenant que l’intervalle se réduise à l’intervalle borné et fermé et que les éléments de S aient une dérivée ième continue sur .
On suppose toujours .
Soit alors une fonctionnelle linéaire définie sur S , de degré d’exactitude et de la forme simple et considérons la fonctionnelle linéaire (7), le nombre étant déterminé par l’équation (6). Nous avons alors .
Nous avons le
Lemme 2. Sous les hypothèses précédentes, s’il existe un entier , tel que la fonctionnelle linéaire soit bornée par rapport à la norme
(11)
nous avons
(12)
pour toute fonction non-concave d’ordre .
Considérons les fonctions
où est un paramètre indépendant de et compris entre et .
La fonction appartient à S et est non-concave d’ordre pour tout . Nous avons
Nous allons démontrer que l’inégalité (12) est vérifiée pour cette fonction, donc si nous posons . En effet,
et si nous tenons compte de (6), nous avons
Mais les fonctions
sont non-concaves d’ordre puisque leurs dérivées d’ordre sont
respectivement.
Nous avons donc
et, compte tenant de (10),
pour tout compris entre et .
D’un théorème de notre travail oité [4] (thèorème 15) il résulte que la fonctionnelle linéaire est de la forme simple, dono l’inégalité (12) est vraie pour toute fonction non-concave d’ordre (et même sans égalité possible si est convexe d’ordre ).
Le lemme 2 est donc démontré.
Remarque. Nous avons écrit la norme qui intervient dans le lemme 2 sous la forme (11). On pourrait la remplacer facilement par une autre
ne contenant linéairement que max et max , en vertu de certaines délimitations données par J. HADAMARD pour les dérivées d’ordres intermédiaires.
4. Nous pouvons maintenant démontrer le
Théorème 2. Si les hypothèses suivantes sont vérifiées :
1.
est un entier non-négatif.
2.
S est l’espace des fonctions ayant une dérivée continue d’ordre sur l’intervalle borné et fermé (ce qui entraine la continuité de et de toutes ses dérivées d’ordres sur ).
3.
est une fonctionnelle linéaire définie sur S , de degré d’exactitude , de la forme simple et bornée par rapport à la norme (11) pour un certain entier .
4.
est le point déterminé par l’équation (6) (On a alors ).
5.
La fonction vérifie de plus l’une des 4 propriétés suivantes :
A. est non-concave d’ordre et non-concave d’ordre ,
B. est non-convexe d’ordre et non-concave d’ordre ,
C. est non-concave d’ordre et non-convexe d’ordre ,
D. est non-convexe d’ordre et non-convexe d’ordre ,
alors la formule de la moyenne (4) est vérifiée dans les cas et par au moins un point de l’intervalle et dans les cas pour au moins un point de l’intervalle .
Il suffit de faire ici la démonstration dans le cas A . Dans ce cas la fonction
(13)
est non-croissante sur et s’annule surement sur au moins un point intérieur de l’intervalle . Nous avons donc et du lemme 2 il résulte que . La propriété cherchée en résulte. Remarquons d’ailleurs que les points qui vérifient (4) forment un intervalle et la propriété obtenue signifie que cet intervalle a au moins un point en commun avec . Lorsque, en particulier, la fonction est convexe d’ordre , le point de (4) est unique et appartient à l’intervalle .
On démontre de la même manière le théorème 2 dans les cas . D’ailleurs les cas se déduisent respectivement des cas en passant de la fonction à la fonction - .
5. Comme une première application nous avons le
Corollaire 1. Si est le reste de la formule de quadrature du type Gauss.
(14)
où est un nombre naturel, une fonction non-décroissante, ayant au moins points de croissance et une fonction admettant une dérivée continue d’ordre sur l’intervalle borné et fermé , la formule de la moyenne
est vérifiée, dans les cas du théorème 2 , pour au moins un point de l’intervalle et dans les cas du théorème 2 , pour au moins un point de l’intervalle .
On a posé et est donné par l’équation (6) correspondante.
Dans la formule (14) sont les racines (distinctes et situées à l’intérieur de ) du polynome orthogonal de degré relatif à la distribution . Les sont les coefficients (tous ) de Christoffel correspondants.
On peut généraliser cette propriété pour des formules du type Gauss plus générales et que nous avons étudié dans un autre travail [3].
6. Comme une autre application du théorème 2 , nous avons le
Corollaire 2. Si la fonction est continue et a une dérivée continue sur un intervalle contenant les points , donnés, non tous confondus ( ), la formule de la moyenne de Cauchy,
est vérifiée, dans les cas du théorème 2 , pour au moins un point et dans les cas du théorème 2 , pour au moins un point .
La différence divisée où les noeuds , sont distincts ou non est définie comme d’habitude.
On voit bien que la fonctionnelle linéaire
vérifie toutes les hypothèses du théorème 2 (porvu que les points ne soient pas tous confondus), [ ] étant un intervalle qui contient les noeuds , Dans ce cas le point est précisément la moyenne arithmétique de ces noeuds.
En prenant , on obtient les propriétés correspondantes relatives à la formule des acroissements finis
Nous pouvons nous dispenser d’énoncer ces propriétés.
7. La propriété exprimée par le Corollaire 2 peut se démontrer aussi directement de la manière suivante. Pour fixer les idées supposons que nous soyons dans le cas A, donc que soit non-concave d’ordre et non-concave d’ordre . En raisonnant comme nous l’avons fait sur la fonction (13) pour la démonstration du théorème 2 et en utilisant quelques formules bien connues relatives aux différences divisées, nous avons d’abord, en supposant ,
Ici dans les seconds membres les termes où figurent des différences divisées prises sur des noeuds tous confondus doivent être supprimés.
Ensuite si la fonction est non-concave d’ordre , nous avons
comme nous l’avons démontré dans un autre travail [2].
8. La propriété exprimée par le corollaire 1 résulte d’ailleurs de la propriété exprimée par le corollaire 2 . En effet, des formules que nous avons établi autrefois [1], il résulte que le reste de la formule de Gauss (14) diffère seulement par un facteur constant positif de la différence divisée d’ordre de la fonction ayant comme noeuds les racines des polynomes orthogonaux des degrés et .
Dans certains cas on peut procéder aussi autrement. Prenons en particulier . Alors sont les racines du polynome de Legendre de degré (avec le plus haut coefficient égal à 1) relatif à l’intervalle . Alors en désignant par une primitive de la fonction , nous avons
Puisque est de degré d’exactitude est de degré d’exactitude , donc ne diffère que par un facteur constant (positif) de la différence divisée de la fonction sur les noeuds , les dernier comptés chacun deux fois. On voit facilement que
La propriété énoncée en résulte.
BIBLIOGRAPHIE
[1] Popoviciu, T. : Notes sur les fonctions convexes d’ordre supérieur (IV), Disquisitiones Math. et Physicae, I, 163-171 (1940).
[2] Popoviciu, T. : Notes sur les fonctions convexes d’ordre supérieur (V), Bulletin de l’Acad. Roumaine, XXII, 351-356 (1940).
[3] Popoviciu, T. : Asupra unei generalizări a formulei de integrare numerică a lui Gauss, Studii si Cerc. Stiintifice, Iași, VI, 29-57 (1955).
[4] Popoviciu, T. : Sur le reste dans certaines formules linéaires d’approximation de l’analyse, Mathematica, 1 (24), 95-142 (1959).