T. Popoviciu
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Paris
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DES SOIENCES DE CLUJ, ROUMANIE.
BULETINUL SOCIETATII DE ŞTIINTE DIN CLUJ (ROMANIA) BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES DE CLUJ (ROUMANIE)
SUR LES SUITES DE POLYNOMES
par
Reçue le 4 décembre 1930.
M. R. Lagrange dans un mémoire paru dans les „Acta Mathematica" ( 1 ) a etudié les suites de nombres d’un point de vue algébrique. Il en a fait des applications pour certaines suites de polynomes. Dans le présent travail, nous allons compléter „l’algèbre des suites de nombres" par une "algèbre des suites de polynomes". Nous aborderons dans d’autres mémoires les applicalions.
Nous ne donnons que des définitions et des résultats. Les démonstrations conduisent souvent à des calculs un peu longs mais ne présentant aucune difficulté.
1.
Définition d’une suite de polynomes. Considérons une suite do polynomes en
(1)
pris dans un ordre bien détermine. Cet ordre est caractérisé par le nombre qui est l’indice ou le rang du polynome . Désignons par le degré du polynome . Si est identiquement nul, nous supposons que a une valeur négative aussi grande qu’on veut. La différence
(2)
est l’ordre du polynome . Si , donc si est identiquement nul nous disons qu’il est d’ordre .
Si les ordres de tous les éléments d’une suite sont égaux à , nous disons que cette suite est la suite nulle. Pour toutes les autres suites les ordres des éléments ont une limite supérieure finie ou infinie. Si est fini nous disons que la suite est d’ordre fini . Dans
00footnotetext: (1) R. Lagrange „Mémoire sur les suites de polynomes" Acla Math. 51 (19 :8) p. 201.
ce cas la suite (1) possède au moins un élément d’ordre . Nous appelons indice caractéristique la plus petite valeur de pour lequel
Nous disons qu’une suite est complète si tous ses éléments ont même ordre. Une suite complète est nécessairement d’ordre fini et son indice caractéristique est 0 .
Si est infini la suite est d’ordre infini. Une telle suite ne peut pas être complète et n’admet pas d’indice caractéristique. Nous appedons classe de la suite (1) le nombre tel que
Une suite d’ordre négatif est au moins de classe .
Nous posons
Les accents désignant des dérivées, nous disons qu’une suite de classe et d’ordre est normale si
(3)
On voit que les premiers membres sont des nombres.
Nous désignons par la suite (1). Lorsqu’on envisage plusieurs suites on désigne par le degré des polynomes
Toutes les relations que nous écrivons entre plusieurs polynomes sont vérifiées identiquement par rapport à .
2. L’algèbre des suites de polynomes. . Nous désignons par [0] la suite nulle.
. La suite
est la suite unité et sera designée par [1]. Elle est normale et de classe 0.
La suite
est la suite unité de classe .
30. Deux suites sont égales si, et seulement si
Nous écrivons
. Le produit d’une suite [P] par un nombre est par définition une nouvelle suite donnée par
Nous écrivons
est la suite opposée de et est égale à .
. La somme de deux suites est une nouvelle suite définie par
Nous écrivons
60.
Le produit élémentaire de par est une nouvelle suite [R] définie par les égalités
(4)
On vérifie facilement que le second membre contient un nombre fini de termes. Pour les suites d’ordre négatif ou nul nous pouvons écrire les formules condensées
(5)
Nous écrivons
Les définitions permettent de trouver la différence de deux suites.
L’égalité et l’addition des suites jouit de toutes les propriétés de l’égalité et de l’addition ordinaire.
La multiplication élémentaire est associative et distributive par rapport à l’addition mais elle n’est pas en général commutative. Si
nous disons que les suites sont permutables. La suite unité est permutable avec une suite quelconque.
La multiplication par un nombre non nul ne change pas l’ordre, da classe, la normalité et la permutabilité d’une suite.
L’ordre d’une somme est au plus égal au plus grand des ordres des suites ajoutées et sa classe au moins égale à la plus petite des
classes des suites ajoutées. Dans la formule
on a on effet
Quelle que soit la suite on a
L’ordre d’un produit est au plus égal à la somme des ordres des. facteurs et sa classe au moins égale à la classe de la suite multipliée. On a en effet
où
Si l’un des facteurs est [0] le produit est égal à [0].
Pour les suites normales de classe 0 la réciproque est vraie, mais : dans le cas général le produit de deux suites non nulles peut être nul ; : par exemple pour les suites
on a
Connaissant le produit de deux suites, on peut calculer une puissanceentière positive quelconque. Nous désignerons par , ou la puissance de la suite . Nous posons par définition :
Nous avons alors pour entiers positifs ou nuls-
Il faut dire encore quelques mots sur la division élémentaire des : suites.
(6)
L’équation (6) n’est pas toujours possible en [ R ] et si elle est possible la solution n’est pas toujours unique.
Si [R] est la suite [1] nous disons que [P] a une inverse à gauche. Désignons par cette invense. Nous avons,
rd’où on déduit que la suite est divisible à gauche par toute suite admettant une inverse à gauche.
D’une façon analogue on définit la division à droite et l’inverse à droite . Pour que existe il faut que la suite soit de classe 0 .
Si une suite a une inverse à gauche et une inverse à droite net si
mous disons qu’elle est inversible. Nous désignons alors par l’inverse de [P]. Toutes les puissances entières d’une telle suite sont déterminées.
3. Nous allons signaler quelques propriétés des suites normales.
Le produit de deux suites normales est une suite normale de classe -égale à la somme des classes des facteurs
Posant
snous avons
étant les classes de et .
Il en résulte que le produit de deux suites normales est toujours différent de [0] .
Toute suite normale de classe 0 est inversible et son inverse est ancore une suite normale de classe 0.
Soit la suite inverse ; on a
Les suites normales de classe zéro forment un groupe. Ce groupe n’est pas permutable, mais il contient de sous-groupes permutables.
Nous connaissons déjà une puissance entière quelconque d’une suite normale de classe 0 .
Posons
et introduisons la notation suivante
Considérons maintenant la suite définie par les relations
la sommation étant étendue aux valeurs positives de : vérifiant l’égalité
prenant toutes les valeurs possibles.
On montre que si est entier
(7)
On démontre ensuite que
nous pouvons donc garder l’égalité (7) comme définissant une puissance : quelconque de la suite , normale et de classe 0 .
On a
Par exemple pour la suite binome normale et de classe 0
on a
Le nombre généralise le nombre et se réduit . ce dernier pour .
converge absolument quel que soit . On démontre en effet sans.
difficulté que
étant égal à ou suivant que est pair ou impair.
4. Sur quelques suites particulières. Désignons par les suites de nombres, donc les suite (1) telles que Une suite de nombres est toujours normale. Son ordre est égal à sa classe changée de signe.
Les suites de nombres de classe 0 forment un sous-groupe permutable du groupe des suites normales de classe 0.
Une suite normale de classe 0 permutable avec une suite de nombres de classe 0 n’est pas nécessairement une suite de nombres. Si la suite de nombres a tous ses éléments différents de zéro toute suite permutable avec elle est une suite de nombres.
Considérons les suites de la forme
(8)
Ces suites sont caractérisées par la suite de nombres [a]. Nous les désignerons par . Pour qu’une telle suite soit normale il faut. qu’elle soit de la classe 0 . Les conditions de normalité sont alors
Les suites normales de la forme (8) forment un sous-groupe permutable du groupe des suites normales de classe 0.
La suite inverse
est déterminée par les équations
Le produit
est déterminé par les équations
(9)
La puissance est donnée par
Des équations (9) nous tirons facilement
Si les séries
convergent à l’intérieur des cercles de rayon respectivement éga à , , la série
converge certainement à l’intérieur du cercle de rayon
mais elle peut éventuellement converger à l’extérieur de ce cercle.
5. La suite est une suite harmonique si
Une telle suite est caractérisée par une suite de nombres et on a
Toute suite harmonique est normale et de classe 0 . Envisageons les suites plus générales de la forme
[A] étant une suite harmonique. Désignons ces suites par . Les suites de cette forme sont normales et de classe 0 si . Elle forment un groupe. La suite inverse est telle que
et la suite est ielle, que la suite
est l’inverse de .
Le produit
s’obtient par les formules
Pour la puissance
on a en général
On voit que ce groupe n’est pas permutable.
6. Transfarmation d’une suite par rapport à une suite fondamentale. Une suite sera dite fondamentale si elle est normale et de classe 1. Soit donc une suite fondamentale
[G]
où . Nous considérons les puissances entières positives de . La suite est normale et de classe m. La suite [G] sera désignée aussi par [1G]. La suite [0G] est la suite unité.
Nous appellons transformée de la suite par rapport à la suite fondamentale la nouvelle suite
]Q]
—
obtenue par les équations
(10)
La suite [Q] est complétement déterminée par ces équations puisque
expriment justement la normalité de la suite fondamentale. Nous regarderons la suite transformée comme étant prise par rapport à la suite et nous la désignons .
Pour les suites prises par rapport à une suite fondamentale nous pouvons établir aussi une algèbre. Cette algèbre sera caractérisée par la multiplication.
Le produit
est défini par les égalités
(11)
De cette façon le produit des transformées de deux suites est égal à la transformée de leur produit élémentaire.
On voit que la multiplication élémentaire correspond aux suites. prises par rapport à la suite tondamentale
La suite fondamentale a été prise elle même par rapport à cette suite.
Soient deux suites fondamentales. D’une manière généralela transformée par rapport à la suite [G] est une suite [Q | Gy] définie par les égalités
Désignons la transformée de la suite fondamentale
(12)
par rapport à . Cette suite est donnée par les égalités
La suite est la réciproque de [G]. Nous pouvons calculer la puissance entière positive de . On trouve que cette puissance est donnée par les équations
On a également
Citons encore les formules
Si on considère la suite réciproque par rapport à la suite (12) elle est aussi une suite fondamentale. A l’aide de la suite réciproque les formules (10), (11) peuvent s’écrire
Supposons en particulier qu’il s’agit de suites d’ordre négatif ou nul ; nous pouvons écrire
où
7.
La classe et l’ordre d’une suite sont invariants par rapport ò : une transformation. L’indice caractéristique est aussi indépendant d’une trasformation. La permutabilité est une propriété invariante par rapport. à une transformation.
Si la suite est prise par rapport à la suite fondamentale . nous disons qu’elle est normale si elle est de classe , d’ordre - et si.
Les quantités du premier membre sont des nombres. En effet on a dans ce cas
done
On voit donc qu’une suite normale se transforme en une suite normale.
On en déduit encore que la transformée par rapport à [G] d’une suite normale de classe 0 admet une inverse qui est égale à la transformée de l’inverse.
La multiplication des suites de nombres prises par rapport à une suite fondamentale se fait ā’après la règle ordinaire
donc :
Les suites de nombres de classe torment un sous-groupe permutable du groupe des suites normales de classe zéro.
Soit une suite normale de classe 1. Les suites de la forme
étant des constantes, forment un groupe permutable.
8. On pourrait étudier encore diverses autres questions relativement aux suites de polynomes. L’étude des suites jouissant de propriétés particulières conduit à des identités intéressantes, comme l’a fait M. Lagrange pour les suites de nombres( 1 ). Nous faisons remarquer encore que la conception de M. Lagrange est la suivante : On associe à une suite de nombres [ ] la série de puissances
(’) loc. cit.
Le lecteur s’en apercevra facilement que nous associons à la suita [P], l’opération fonctionnelle :
Ce nouveau point de vue nous a permis de généraliser la théorie : de M. Lagrange. Nous l’avons déjà exposé dans un mémoire antérieur où nous en avons donné quelques applications. En particulier nous avonsdonné des propriétés fonctionnelles intéréssantes pour les suites binomiales, que M. Lagrange a également étudié sous le nom de suites : d’interpolation ( 1 ).
(1) Voir T. Popoviciu "Asupra unor polinoame remarcabile". La note à la fina du mémoire. (Autographié 1927).