NOTES SUR LES FONCTIONS CONVEXES D’ORDRE SUPÊRIEUR (I)
par
Tiberiu Popoviciu
Reçue le 10 Janvier 1936.
Sur une généralisation de la notion de convexité d’ordre supérieur.
1.
—
Soit
(1)
une suite finie ou infinie de fonctions réelles, uniformes et définies dans l’intervalle fini et fermé ( ).
Nous appellerons combinaison linéaire d’ordre une expression de la forme
où les sont des constantes (pouvant être aussi nulles).
Nous dirons que les fonctions (1) forment une base lorsqu’une combinaison linéaire d’ordre est déterminée complètement par ses valeurs on points distincts et ceci quels que soient et les points considérés.
Posons
Pour que les fonctions (1) forment une base il faut et il suffit qu’on ait pour tous les groupes de
points distincts de l’intervalle ( ) et pour
En particulier, les fonctions
(3)
forment une base. Dans ce cas le déterminant (2) devient
et n’est autre que le déterminant de Van Der Monde des quantités . La base (3) est d’ailleurs la plus simple qu’on peut considérer ( 1 ).
Nous dirons encore que les fonctions (1) forment un système de Tahebychef, ou bien un système (T) si, en particulier, on a ( 2 ).
(4)
Lorsque les fonctions (1) sont continues, le déterminant (2) ne peut changer de signe sans s’annuler. Nous pouvons donc dire que si les fonctions (1) sont continues et si elles forment une base, elles forment aussi un système (T), en changeant éventuellement le signe de certaines de ces fonctions .
(1) D’une suite (1) on peut en déduire une infinité d’autres
(a)
où est une combinaison linéaire d’ordre , cet ordre étant effectif, c’est-àdire que le coefficient . Si les fonctions (1) forment une base il en est de même pour les fonctions ( .) et réciproquement. Nous pouvons regarder toutes ces suites comme équivalentes.
(2) L’essentiel dans cette définition est que le déterminant (4) ne s’annule pas et ne change pas de signe pour un n donné. Si une suite (1) vérifie cette propriété on peut en déduire un système (T) d’après la définition du texte, en changeant éventuellement le signe de certaines de ces fonctions. De tels changements de signes sont sans importance pour nous.
(3) Cette propriété peut ne pas être vraie si les fonctions (1) ne sont pas continues, Par ex, les fonctions
forment une base mais non pas un système (T).
Par exemple les fonctions (3) forment un système (T), qui est d’ailleurs le plus important.
Dans la suite nous considérons uniquement des systèmes (T).
2. - Considérons une fonction définie sur un ensemble E dont les points font partie de l’intervalle ( ). Désignons par prend les valeurs aux points
Nous dirons que est non-concave, convexe, polynomiale, non-convexe ou concave d’ordre n par rapport aux fonctions suivant que l’une des inégalités
est vérifiée sur tout l’ensemble E .
Nous dirons aussi qu’une telle fonction est d’ordre par rapport aux fonctions . C’est donc une fonction pour laquelle le premier membre de la relation (5) ne change pas de signe sur l’ensemble E. Dans la suite nous supprimons les mots „par rapport aux fonctions . . ." chaque fois que ceci ne donne pas des confusions.
La définition précédente est une définition géométrique, mais on peut la transformer dans une autre analytique qui mettra mieux en évidence la symétrie de l’inégalité (5) par rapport aux points .
On peut écrire
La condition (5), compte tenant de (4), devient
(6)
Remarquons que la condition (6) peut encore s’écrire
(7)
et sous cette forme on voit qu’analytiquement le caractère de convexité s’écrit indépendamment de l’ordre des points ,
La fonction non-concave d’ordre peut être considérée comme type de fonction d’ordre n. La convexité et la polynomialité sont des cas particuliers de la non-concavité et la non-convexité s’obtient par un changement de signe.
En somme, la convexité (ou la concavité) d’ordre de la fonction exprime cette propriété que les fonctions et (ou la fonction - ) forment un système (T). Pour un système (T) toute fonction de la suite est convexe par rapport aux autres qui la précédent.
Dans le cas de la suite (3) nous avons les fonctions habituelles d’ordre Dans ce cas le premier membre de la relation (7) s’écrit aussi et est ce qu’on appelle la différence divisée d’ordre de la fonction sur les points .
3. - Une fonction polynomiale se réduit aux valeurs sur E d’une combinaison linéaire d’ordre .
Si est une fonction d’ordre et si
(8)
elle est polynomiale d’ordre sur la partie de E comprise dans le plus petit intervalle contenant les points . En effet, supposons que . La propriété résulte du fait que la fonction reste comprise, dans l’intervalle ( ), entre les deux combinaisons linéaires d’ordre
qui, par suite de l’égalité (8), coïncident,
( 4 ) Voir : Tiberiu Popoviciu „Sur quelques propriétés des fonctions d’une et de deux variables réelles". Mathematica t. Vlll, p. 1-85. Dans la suite nous nous rapportons constamment à ce travail.
4. - D’une façon générale si sont des points de E et est une fonction d’ordre , elle reste comprise, dans l’intervalle ( ), entre les deux combinaisons linéaires ( ). On en déduit facilement la propriété suivante :
Pour que toute fonction d’ordre soit bornée sur tout sous-ensemble complétement intérieur à E il faut et il suffit que les fonctions soient bornées sur tout sous-ensemble complètement intérieur à E.
Un sous-ensemble de est complètement intérieur à si ses extrémités sont différentes de celles de E . Nous appelcns extrémités de l’ensemble E sa borne inférieure et sa borne supérieure.
La condition est évidemment nécessaire puisque les fonctions sont d’ordre .
Si l’ensemble E contient ses extrémités, la propriété est vraie pour tout l’ensemble E.
En particulier, nous en déduisons la propriété suivante :
Pour que toutes les fonctions d’un système (T) soient bornées il faut et il suffii que la première fonction soit bornée.
5. - Supposons que soient continues en un point qui appartient en même temps à E et à son dérivé .
Prenons deux groupes de points
(10)
(11)
distincts entre eux et de , appartenant à de telle manière que s’il y en a et points à gauche de dans les deux groupes (10) et (11) respectivement, le nombre soit impair. On peut toujours obtenir cette disposition si on suppose que ne coincide pas avec une extrémité de E.
Pour fixer les idées nous supposons que
Soit maintenant une fonction d’ordre et un point de E voisin de . Si on applique l’inégalité (6) aux suites de points
ou
on trouve facilement que
où A , B sont deux quantités tendant vers zéro lorsque d’une manière arbitraire.
On en déduit que est continue au point .
Nous avons donc la propriété suivante :
Pour que toute fonction d’ordren soit continue sur tout sous-ensemble complètement intérieur à E il faut et il suffit que les fonctions soient continues sur tout sous-ensemble complètement intérieur à E .
Nous ne pouvons, bien entendu, rien dire sur les extrémités de l’ensemble E.
Nous avons, en particulier, la propriété :
Pour que toutes les fonctions d’un système (T) soient continues dans l’intervalle ouvert ( ) il faut et il suffit que les deux premières fonctions soient continues dans cet intervalle.
6. - Soient les deux suites de points (10), (11). Supposons qu’un intervalle ( ) ne contienne aucun point (10)," (11) et qu’il y en a points à gauche de dans les deux groupes (10), (11) respectivement, la somme étant impair. Pour fixer les idées, nous supposerons encore que
Considérons maintenant une fonction d’ordre et deux points de situés dans l’intervalle ( ).
Les inégalités
divisées par nous donnent
-1
[ ]
-
0
. : .
Supposons maintenant que les fonctions soient à première différence divisée bornée sur tout sous-ensemble complètement intérieur à E. Elles sont donc, ainsi que la fonction , bornées et continues sur tout sous-ensemble complètement intérieur à E. D’autre part, restant dans l’intervalle ( ), les quantités
ont une borne inférieure positive.
Finalement, on voit que nous avons la propriété suivante :
Pour que toute fonction d’ordre soit à première différence divisée bornée sur tout sous-ensemble complétement intérieur à . E, il faut et il sutfit qu’il en soit ainsi pour les fonctions .
La condition pour une fonction d’être à première différence divisée bornée n’est autre que la condition ordinaire de Lipschitz.
Il est à remarquer que de notre démonstration résulte que le sous-ensemble considéré ne peut être tout à fait quelconque. Il faut qu’il existe au moins points de E non situés dans l’intervalle formé par les extrémités du sous ensemble en question et non pas tous du même côté de cet intervalle.
En particulier :
Pour que toutes les fonctions d’un système (T) soient à première différence divisée bornée dans tout intervalle complètement intérieur à ( ) il faut et il suffit qu’il en soit ainsi pour les deux premières tonctions .
Précisons d’abord les hypothèses que nous allons faire sur le système (T).
Etendons la signification du déterminant (2) au cas où les points ne sont pas tous distincts. D’une façon générale si dans
des points sont confondus on un point tous les es autres étant distincts de , le symbole signifie le déterminant
(2) où les lignes de rang sont remplacées par les lignes :
respectivement. Ce changement revient a un passage à la limite. On l’obtient en effet en divisant le symbole primitif par le déterminant de Van Der Monde et en faisant ensuite tendre vers les points . On supprime, bien entendu, certains facteurs numérique positifs. On fait ce changement pour tout groupe de points confondus et on suppose toujours que toutes les dérivées écrites existent.
En particulier, n’est autre que le déterminant de Wronski W ou plus simplement des fonctions .
Revenons maintenant aux systèmes (T).
On constate facilement qu’on a
quels que soient et les points .
En particulier, nous avons
pour tout point de l’intervalle et pour tout .
Nous dirons qu’un système (T) est régulier d’oráre si :
. Les premières fonctions ont des dérivées : d’ordre dans tout l’intervalle .
2. On
(12)
pour tout point de l’intervalle (a.b) et pour .
Dans le cas où cette propriété est vérifiée quel que soit c’est-àdire si les fonctions (1) sont indéfiniment dérivables et si l’inégalité (12) a lieu pour tout et pour tout , nous pouvons dire que le système (T) est complétement régulier. Par exemple le système (3). est complétement régulier.
L’importance des systèmes réguliers provient du fait que si unsystème (T) est régulier d’ordre , les fonctions sont
intégrales linéairement indépendantes d’une équation différentielle linéaire d’ordre
á coefficients continues dans l’intervalle .
8. - Pour ne pas compliquer les choses, nous supposerons que le sous ensemble de E est fermé et est tel que E a un nombre suffisant de points non situés dans l’intervalle formé par les extrémités de . Nous préciserons d’ailleurs plus loin ce nombre.
Si une fonction est à kème différence divisée bornée, elle est aussi à différence divisée bornée d’ordre 0 (la fonction est bornée), et elle a des dérivées continues d’ordre sur l’ensemble dérivé de . Ces dérivées sont définies comme limites de différences divisées d’ordre coïncident avec les dérivées succesives u sens orôinaire si ces dernières existent et, en particulier, aux points qui appartiennent aux dérivées d’ordre de I’ensemble
Supposons maintenant que le système (T) soit régulier d’ordre et que de plus les fonctions soient à kème différence divisée bornée sur . Soit une fonction d’ordre et supposons-la à différence divisée bornée sur jusqu’à l’ordre inclusivement. Nous voulons démontrer que est aussi à lcème différence divisée bornée.
Supposons le contraire. Il existe alors une suite de systèmes de points de E
telle que la différence divisée d’ordre
(13)
tende vers l’infini et plus exactement et pour fixer les idées vers
On peut toujours supposer que les limites
existent. On a alors
Mais, la fonction étant supposée à ( )ème différence divisée bornée, on peut voir facilement qu’on dojt avoir toujours
Prenons maintenant les points de E
(14)
Nous avons la condition de non-concavité d’ordre
Si nous divisons le premier membre par le déterminant qui est positif et si nous faisons des transformations convenables, d’ailleurs faciles à voir, nous en déduisons une inégalité de la forme
(15)
Lorque la quantité reste bornée en vertu des hypothèses faites.
Pour la quantité A nous avons
Or, nous allons démontrer qu’on peut choisir les points . de manière que cette quantité soit différente de zéro, donc positive.
Soient points à gauche de et considérons les déterminants
en choisissant les points de toutes les manières possibles parmi les points .
Je dis que l’un au moins de ces déterminants est positif. En effet, dans le cas contraire, on aurait un système de équations linéaires et homogènes par rapport aux déterminants d’ordre de la matrice
Le déterminant de ce système est, peut être au signe près, le dèterminant d’ordre formé par les mineurs d’ordre du déterminant
(17)
Le déterminant du système considéré est donc égal à la puíssance du déterminant (17) et est, par conséquent, différent de zéro.
Il en résulte que tous les déterminants d’ordre de la matrice (16) devraient être nuls, ce qui est impossible puisque par hypothèse .
Nous voyons done qu’on peut choisir les points parmi point fixes situés à gauche de tel qu’en faisant on arrive surement à une contradiction dans la formule (15). Ceci est vraie indépendamment du point , limite des points .
Il est done démontré que est à kèmc différence divisée bornée sur .
9. - Si la différence divisée (15) tend vers la démonstration se fait, bien entendu, de la même manière en choisissant convenablement les points en dehors de l’intervalle ( ).
En général, soit
(18)
On voit, par un raisonnement analogue, qu’on peut d’abord choisir les points (ou les points ) parmi (ou points fixes situés à droite de (ou gauche de ) tel que le déterminant
ou
soit différent de zéro et ensuite on peut choisir les points (ou les points ) parmi points fixes situés à gauche de (ou à droite de ) tel que le déterminant (18) soit différent de zéro.